Dans les catacombes de l’âme se terrent les démons de l’angoisse. Des créatures viles et cruelles, des monstres perfides et éternels. Ils dansent jusqu’à en perdre la raison, s’enivrent dans des fleuves à la liqueur sombre et amère. Accompagnés par une symphonie désaccordée, à la fois grave et aiguë, ils parcourent les songes et terrorisent les mortels. Leurs os martèlent le sol dans un craquement désincarné, un glas dont l’écho murmure aux damnés. Ils éviscèrent leur chaire sur des pieux d’or et de coton, meurtrissant le monde des stigmates de leur rancœur. Rien ne les effraie, tout les satisfait. On pourrait penser que seul le mal exalte leur incarnation, que les chemins de braises et d’airain tracent l’unique route vers leur expiation. Et pourtant, ils trouvent candeur et amusement dans les plus infimes ramifications de notre esprit. Dans l’ambition, dans la joie, dans la ferveur. Tous ses sentiments qui s’érodent face à leur visage, qui se noient dans l’horreur.

Nous laissant alors en proie à une étrange torpeur.

« Comment a-t-on pu en arriver là ? »

Les différents agents de l’Organisation étaient tous mobilisés pour faire face à l’attaque des rebelles. Les transmissions étaient erratiques et les ordres peinaient à leur parvenir. Chacun essayait tant bien que mal de tenir le front, de repousser l’envahisseur qui menaçait de détruire leur utopie. Un mélange de peur, d’incompréhension et de colère avait plongé le bâtiment tout entier dans le tourment.

Dans ce chaos, Irina tenait fièrement ses positions. Fidèle à ses valeurs, elle avait réuni les agents qu’elle savait loyaux. Ce n’était pas les plus forts, pas les plus compétents, mais ils mourraient pour la cause. Chose rare en ces temps. Elle qui croyait avec ferveur dans les idéaux de l’Organisation voyait son rêve être assiégé par des personnes aux convictions douteuses. Pour elle, les rebelles n’étaient que des criminels mordant la main qui les avait nourris. Des ignares égoïstes privant les autres du bonheur. Qu’ils aillent tous au diable. Si Rhode avait pu redevenir une région sûre alors Novabi prospérerai. S’il fallait sacrifier mille vies pour mater la rébellion, alors un millier de personne mourraient avant la tombée de la nuit.

La rouquine savait pertinemment que ses mesures étaient extrêmes, voir cruelles. Mais il était hors de question qu’un enfant revive ce qu’elle avait vécu. Une existence de misère, privée de sommeil et gangrenée par la peur. Celle de perdre ceux qu’on aime et celle de se perdre soit-même. Comment pourrait-elle se regarder en sachant qu’elle n’a pas tout fait pour assurer la pérennité de leur utopie ? Qu’elle avait laissé les rebelles prendre le pouvoir ? L’ordre, la paix, l’harmonie. C’est tout ce qu’elle voulait. S’il fallait semer le chaos pour obtenir la quiétude, alors Irina était prête à se perdre dans les limbes de la dévastation. C’est ce qu’elle avait toujours fait.

« Madame, nous venons d’apprendre que des otages ont été faits au troisième étage. Tous sont des observateurs et les rebelles proposent de leur laisser la liberté en échange… en échange d’un haut gradé ».

L’agent ne sait pas où se mettre. Ses veines dessinent un relief sur ses tempes et la sueur croupis sur son visage. Il sait ce qu’il vient de dire, il connaît les implications d’une telle information.

« J’y vais. »

L’homme a à peine le temps de réagir que la rouquine enfile son manteau.

« Madame il y a d’autres administrateurs ! »

« J’y vais j’ai dis. »

L’ocre de ses yeux se fige un instant avant de disparaître dans l’antre de ses paupières. Même l’administratrice Makarova était sensible à la peur, sujette aux doutes et à l’appréhension. Serait-elle seulement humaine si elle restait de marbre face à cette tragédie ? Qui le serait ? Même Elijah, ce monstre de contradictions, devait être rongé par l’angoisse. Et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir de l’excitation. Une émotion coupable, celle qui ne devrait pas être. L’envie de se jeter dans le danger et de répondre à la violence par l’annihilation.

« Elijah, tu me reçois ? Je me dirige vers le troisième étage pour cette histoire d’otages. Fais en sorte de quitter le périmètre avant que j'arrive. »

La voix d’Elijah s’élève à travers le transmetteur mais la dame de fer n’y prête aucune attention. Résignée, elle monte les marches du bâtiment, esquivant les agents pressés et enjambant les corps qui jonchent le sol. Certains des observateurs qu’elle croise échangent avec elle un regard de détresse. Ils vont probablement mourir dans quelques minutes. Et ceux qui ne mourront pas déposeront sûrement leur démission dans les jours qui suivront. Il règne alors dans cette cage d’escalier une atmosphère bien étrange. Tous sont lucides sur leur situation et surtout sur leur mortalité. Un mélange de crainte et de résignation. La seule exception réside dans le sourire d’Irina.

Au deuxième étage, l’administratrice se fraie un chemin dans une salle de pause déserte. Les tables sont retournées et des meubles servent de barricade de fortune. De la nourritures jonche le sol et une cigarette fume encore dans le cendrier. Si la situation n’était pas aussi critique, on aurait pu penser que des agents un peu paresseux avaient été pris la main dans le sac. Il n’était d’ailleurs pas rare que certains observateurs reconnaissent lequel de leur supérieur arrivait rien qu’au son de leurs pas. Tous redoutaient ceux de la rouquine.

Sous le regard blafard des néons, Irina fait courir sa Pokeball entre ses phalanges. Au dessus d’elle, au troisième étage, les otages prient pour être libérés. Des frères, des pères, des mères, des cousines, tant de vies volées. Elle sait aussi que beaucoup de rebelles se terrent dans cet endroit. Des rebelles qu’elle préférait voir morts que vivants.

Dans les limbes de l’instant, la Pokeball glisse d’entre ses doigts. S’échappe alors de sa prison un colosse de roche et de violence. Son souffle est chaud et ses muscles tendus dans l’anticipation. Il n’attend qu’un ordre :

« Numéro un : tue. »