Le Berghain. Une cathédrale de béton, vestige d’un passé encore récent et reconverti en lieu de débauche et de bruits. Il se souvient, il y a deux décennies, de la fonction première de cet immense bâtiment enraciné entre Primcore et Sinnith. Une centrale électrique. Elle était là avant son arrivée, trahissant que le projet Dichotomia était plus vieux que ce que le commun peut bien penser. Un archipel artificiel ne se construit pas du jour au lendemain après tout, et cette centrale avait été une partie essentielle pour ceux résidant sur ce bout de terre en expansion. Mais avec les années et l’ouverture de Novabi, elle ne pouvait suffire à une population à la croissance explosive. On lui préféra tout un complexe plus grand, capable d'alimenter tout Relica pour encore plusieurs années sans crainte. La bâtisse tomba en désuétude dans l’indifférence la plus totale, investie par des squatteurs et autres parias avant de, fatalement, trouver une utilité aux yeux de quelqu’un qui s'appropria le lieu pour le capitaliser. Kof kof. Il touche le mur du béton, soucieux du destin de ce bout d’histoire. Un destin semblable au sien à quelques égards. D’éléments essentiels au bon fonctionnement du Projet, ils furent délaissés, oubliés et grouillaient désormais d’envies rebelles envers leurs anciens maîtres. Car, sous son écorce grise et dure, sous sa façade de boîte de nuit où le vice avait ses aises, le Berghain est également un point névralgique de la nouvelle rébellion qui se forme sous le nez de l’Organisation. Sa venue ici, il y a quelques jours, pendant ce qui était vraisemblablement une réunion importante lui avait confirmé ce fait. Il ne sait pas exactement le rôle que ce lieu peut avoir pour ces révoltés idéalistes, mais il en a une petite idée qui sera très lucrative si elle s’avère exacte.

Car “Will” n’aime pas la situation dans laquelle il se trouve. Naviguer dans le noir le plus complet est le meilleur moyen d’être pris dans les filets du régime. Il lui fallait trouver des informations, créer un réseau et pouvoir ainsi avoir une idée plus claire de l’environnement dans lequel il évoluait et souhaitait apporter mort et destruction. Il souhaite suivre les traces de cette autre entité qui avait provoqué le terrible drame du festival agricole. Cet être insondable qui sût mettre dans l’embarras l’Organisation, briser la confiance que la populace avait jusque-là et avait fait naître en lui les braises d’une froide et implacable revanche. Son esprit, aussi malade que son corps, avait bien des idées pour émuler l’horrible attaque. Mais pour y parvenir, il devait s’en donner les moyens. Et il reste lucide, sa personnalité et sa façon d’être étaient des obstacles majeurs pour se créer des alliés parmi le genre humain. Pour preuve, sa répudiation face à ces rebelles alors qu’ils partagent le même but. Il savait cependant qu’ils n’étaient pas véritablement prêts pour mener une guerre face à l’Organisation. Montés sur les grands chevaux que sont la morale et l’idéalisme, ils forment un obstacle plus que de véritables alliés. Ils souhaitent ardemment goûter à une certaine liberté, une illusion créée par toute société pour contenter l’existence de ses membres, un fantasme qui n’existe que dans le bel univers de la fiction. Car dans ce bas monde, rien ni personne n’est libre. Une ombre rapide vient se glisser derrière lui, subtilisant le sac plastique qu’il tenait en main. Le voleur, un Farfuret, se jette sur le contenu du pauvre sac déchiqueté entre ses griffes : une boîte plastique contenant du riz et des morceaux de viande cuits et encore juteux. Il dévore ce repas avec avidité, jetant de brefs regards à l’homme inerte face à lui. ▬ C’est fait ? Kof kof. La bête n’a pour seule réponse que ses griffes, pointées vers ce qui semble être une entrée. Une lourde porte de métal entrebâillée devant laquelle gît une chaîne brisée et gelée.

Cette centrale négligée est un lieu immense que le Berghain n’investit pas totalement. La moitié au moins était laissée en état, une ruine insalubre et dangereuse. Un accès. Durant ses observations, il avait compris que ce n’était toutefois pas un angle mort, une petite sécurité fait effectivement le tour du bâtiment, en début et fin de soirée, afin de s’assurer qu’aucun fêtard n’ait tenté de se glisser dans ce déshonorable établissement à moindres frais. Ces portes étaient lourdement cadenassées et, sans avoir où l’on mettait les pieds, crapahuter dans cette partie abandonnée pouvait être dangereux pour ne pas dire mortel. À tout ceci, Ahriman fut sa solution. Ce Farfuret vicieux qu’il avait recueilli montrait une autonomie et ruse parfaite pour ce genre de mission. Il avait investi cette partie oubliée de la centrale, s’infiltrant depuis les fenêtres brisées dans les hauteurs et explorant la zone. Sans surprise, même si elle était abandonnée, cette partie n’était pas laissée sans surveillance. Plusieurs caméras avaient été installées comme tant d’yeux veillant à la sécurité de la chimère rebelle tapis dans sa tanière. Le Farfuret avait su dénicher ces appareils, depuis la sécurité des ombres et des hauteurs inaccessibles au genre humain. Sa pérégrination permit à la bête de trouver un chemin empruntable par la main qui le nourrissait gracieusement. Une route pour le mener au plus près du cœur de cette rébellion naissante qu’il avait en horreur. Mais qui pouvait avoir son utilité. Car toute cette machination n’avait qu’un but, un seul : se connecter au réseau des Rebellis. Il avait jusque-là usé et abusé du réseau de l’Organisation dans le cadre de son emploi. Mais, privé désormais de cet atout, Wilfried c’était tout simplement dit que se tourner vers celui de leur opposant direct était la solution la plus simple. Bien sûr, il pourrait essayer de parlementer avec eux, essayer de trouver une voie plus diplomatique voire former une alliance. Agir ensemble dans cet objectif commun de détruire leur ennemi. Mais à quoi bon feindre le respect et discuter avec ces enfants alors qu’il pouvait simplement prendre ce qu’il souhaite. Glisser sous leur vigilance pour infiltrer la chimère et profiter de ses sens tel un vulgaire et insidieux parasite.

La traversée des ruines ne fut pas aisée, mais à la suite d’Ahriman, le vagabond parvint à éviter de tomber et de se briser le cou dans ces décombres de béton et d’acier. La suite du plan restait assez simple, trouver un ordinateur dans les entrailles les plus profondes du Berghain, s’y connecter et faire en sorte que les informations traversant le réseau local lui parviennent également. Il suppose que la rébellion devait être plus que préparée à faire face à une attaque extérieure, une infiltration virtuelle qui se briserait face à leurs remparts et autres sécurités. C’est pour cela qu’outre-passer tout ceci était la seule solution viable. Même s’ils sont vigilants, ils se pensent encore à l’abri du regard de l’Organisation et ne s’imaginent probablement pas que quelqu’un puisse déjà suspecter la véritable nature du Berghain. Comment se rendre compte que l’information, qui circule dans leur réseau et à travers ses membres, puisse également couler et atteindre un intrus ? Est-ce véritablement un intrus ? Dans un monde de secrets et de clandestinité face à une hydre quasi-omnipotente, où chaque membre, chaque contact, se doit au secret et à la discrétion, comment être sûr ? C’est sur cette incertitude que comptait jouer Wilfried pour veiller à ce que sa présence, même détectée, soit sécurisée au moins un temps. Mais avant de laisser son esprit simuler un possible résultat, encore faut-il réussir les premières étapes. Face à une autre porte, forcée par Ahriman grâce à la glace et ses griffes, il pénètre dans ce qui semble être un couloir dans les sous-sols du bar, un territoire inconnu total et donc dangereux. Il marche, tout simplement, dans ce couloir, le Farfuret à ses côtés restant à l'affût du moindre bruit. En milieu de matinée, il espérait que la chimère soit endormie dans sa tanière, que personne ne se rende compte de sa présence et qu’il puisse en toute tranquillité poursuivre sa quête et repartir s’en retourner aux ombres, aux secrets et avec une vue partiellement retrouvé sur ce monde en perdition. Un plan qui se veut sans accrocs donc, ou presque. Kof.