Arrivé non loin du dojo, tu t’arrêtes un instant, essoufflé. T’essayes de reprendre ta respiration, t’as couru depuis Sinnith jusqu’ici. Autant dire que t’es mort. Tu sais pertinemment que t’es à la bourre, mais t’avais pas vraiment le choix. Fallait bien coucher les petites. Bon, t’aurais pu laisser Lilith s’en charger seule, mais la pauvre, tu lui donnais déjà bien assez de soucis comme ça et puis c’était toi l’aîné donc ta responsabilité de faire attention à elles et à leur bien-être même si tu devais avouer que la tâche était loin d’être aisée.

M’enfin, à présent elles dormaient toutes et tu pouvais avoir l’esprit tranquille d’autant que Lilith avait promis de t’appeler si problème il y avait. Tu pouvais ainsi vaquer à tes occupations nocturnes. Et ce soir, c’était exploration du dojo de la plume d’or ! Pas ton idée pour une fois, mais l’idée était intéressante et encore plus vu que c’était celle de Declan. On ne pouvait pas vraiment parler d’une bonne idée, mais avec le duo, c’était un peu la marque de fabrique et tu sais pas si tu es fier ou honteux de voir l’influence pas terrible que t’as sur ton ami. Tu sais en tout cas que ses parents t’ont jamais porté dans leur coeur, mais t’es pas du genre à se soucier de ce qu’ils pensent, d’autant plus depuis qu’ils ont délaissé Declan et ses deux soeurs.

Tandis que tu franchis les derniers mètres menant au dojo, tu aperçois ton ami et te diriges d’un pas rapide vers lui, trahissant ton excitation.

“Hey mec ! Comment tu vas ?”

Tu lui tends la main tant pour lui faire un check que pour l’aider à se relever.

“Désolé du retard, fallait que je couche les petites. ‘Fin tu sais ce que c’est.”

La tragédie vous avez tous les deux touché lors du festival agricole de Port-Wisteria. Vos familles avaient toutes les deux volé en éclats. Pas de la même façon, mais le résultat était le même. Vos vies avaient changé du tout au tout et vous vous entraidiez tant bien que mal dans ce gros bordel.

“Lilith te passe le bonjour d’ailleurs. Elle me fait te dire de ne pas hésiter à passer à la maison avec les filles un de ces quatre.”

Tu lui décoches un petit coup de poing amical dans l’épaule, il sait qu’il est toujours le bienvenu à la maison, lui et ses soeurs qui s’entendent à merveille avec les tiennes au passage.

C’est toujours plus simple avec Declan. Il te comprend, vous vous comprenez. Vous vivez pas la même chose, mais presque et vous vous soutenez, parce que c’est tout ce que vous avez au fond. Même si vous vous cachez derrière des boutades et des défis ridicules. Avec lui, tu sais que les prochaines heures que tu vas vivre vont être faites d’aventure, de rires, de conneries. Surtout, de conneries. Une façon pour vous d’échapper à vos réalités merdiques, pas de façon la plus sage tu dois bien l’avouer, mais c’est votre problème ça non ? Tant que vous n’emmerdez personne d’autre.
Dans votre échange de banalités, tu souris à la mention des bisous humides. Une façon gentille d’embêter vos sœurs respectives. Tu sais déjà que Lilith va râler quand tu lui transmettras la commission et ça te fait ricaner d’avance. T’es un sale gosse, qu’est-ce que tu peux y faire ? Tu t’es retrouvé bien malgré toi à la tête de la famille, devenant bien plus qu’un simple jeune adulte par la même occasion, il fallait bien que tu puisses encore agir comme un enfant à certains moments, comme pour cette histoire de bisous baveux.

Acceptant l’invitation de Lilith et indirectement la tienne, Declan commence à s’impatienter. C’est vrai que si vous avez faussé compagnie à vos sœurs, ce n’est pas pour papoter autour d’un thé, mais pour explorer et vous mettre en danger inutilement bien sûr.

“T’as raison. On verra ça demain, on a un dojo à explorer !”

Tandis que vous vous engagez sur les quelques marches qui vous séparent de votre objectif, un grincement désagréable se fait entendre non loin. Derrière lui, tu remarques aussitôt le petit sursaut de ton ami. Et, bien évidemment, tu ne rates pas l’occasion de le lui faire remarquer, un peu moqueur.

“Eh bah alors Decl’ ? Le frisson te fait déjà trembler ?”

Tu ricanes tandis que tu cherches toi aussi du regard l’origine de ce bruit qui, bien que peu effrayant à ton goût, est particulièrement affreux pour les oreilles, ce avec quoi Peck semble être d’accord. C’est d’ailleurs en le regardant sur la défensive et en suivant son regard que tu finis par voir le Khélocrok. Tu hoches la tête à la proposition de ton ami et entres avec lui dans le dojo.

Tu allumes alors la lampe torche de ton téléphone et balayes l’intérieur du hall afin d’avoir un aperçu de ce qui vous attend.

“T’as vu mec ?”

À dire vrai, il n’y a pour l’instant rien de particulier qui devrait lui sauter aux yeux, mais Zelan tu le vois toi. Tu vois les poutres et les planches parfaitement assemblées, tu vois le travail de ceux qui ont batit cet endroit. Tu vois les défauts causés par l’usure et le temps qui passe. Défauts qui ont parfois été colmatés, parfois non. Déformation professionnelle, mais t’aimes ton travail alors forcément c’est plus fort que toi.

Dans ta contemplation, tu te rappelles de certaines rumeurs sur le dojo et te tournes vers Declan afin de lui en faire part.

“Il paraît qu’un Brutalibré garde le dojo. Tu crois qu’il est là que le jour ? Ou, si ça se trouve, il rôde quelque part en ce moment même.”

Ta voix est menaçante et mystérieuse, comme si tu racontais une histoire de fantôme à des enfants. Tu cherches pas spécialement à effrayer Declan. Enfin si, un peu, mais pas trop. Tu te dis juste que si la rumeur était vraie et qu’il y avait en effet un Brutalibré dans les parages, l’expédition s’annoncerait dangereuse, mais terriblement excitante.