Les nuits étaient longues et sans repos. La nicotine et la caféine te faisaient fonctionner; n’était-ce qu’une brève mascarade de la part d’un groupuscule qui voulait te faire flancher ?
Impossible. Tu ne pouvais pas craquer; personne ne pouvait être en mesure de briser publiquement le Président Burton.

Elijah s’inquiétait. Vos échanges par SMS étaient plus fréquents; tu ne comprenais pas ce changement de comportement. Mais apparemment, ce n’était pas une autre attaque pour Novabi qu’ils visaient.
C’était l’Organisation.
Toi.

Ça, c’était la partie que tu cachais aux autres. Tu leur avais simplement montré les avertissements et les menaces par rapport au QG de Spectare; tu n’avais aucune idée de comment l’information avait pu fuiter. Et cette simple brèche d’informations, elle était assez pour tendre les troupes. Tes hommes se suspectaient mutuellement; le doute et le manque de confiance restaient perchés au-dessus des épaules de tous et chacun portant fièrement l’emblème Spectare.
Tu ne voudrais pas suspecter tes hommes. Ils ont joint les rangs de l’Organisation pour une raison; et certains, ils étaient là depuis si longtemps, bien avant toi.

Beaucoup plus longtemps que toi, ou qu’Elijah.

On cognait à la porte de ton bureau; tu ne te rappelais pas attendre quelqu’un. Un simple frisson parcourait le long de ta colonne; tu redoublais de vigilance depuis ces avertissements.
Le soulagement prenait le dessus de ton angoisse lorsque tu reconnus ce visage familier, celui d’Iskander, qui traversait le pas de la porte, la refermant derrière lui. Il s’excusait, il serait bref. Tu venais simplement lui tendre la chaise devant toi pour l’inviter à s’asseoir.

« Cette rencontre prendra tout le temps nécessaire, monsieur Vasilis. »

Tant de formalités, alors que pourtant, lorsque vous étiez en-dehors des murs du QG ou des bureaux présidentiels, tu te voyais énormément apprécier cet homme. Cet homme qui était présent et qui te supportait depuis ton arrivée à Novabi, plus précisément depuis le début de ton siège présidentiel. Iskander, le conservateur du patrimoine, le trésorier de l’Organisation, présent depuis une décennie à Novabi… Mais également une personne en qui tu daignais avoir confiance, parce qu’il te l’avait prouvé plus d’une fois.
Quelqu’un que tu osais considérer comme un ami.

Mais à cet instant, ce n’était pas deux amis qui discutaient; vos métiers prenaient de l’avant. Novabi était en crise, l’Organisation et la population attendaient que tu te prononces pour déduire de ton sort. L’épée de Damoclès, elle était pendue au-dessus de toi. Tu marchais sur des œufs, pour éviter au groupuscule de donner raison d’agir.
Mais il fallait agir, par intérêt pour la population.
Par intérêt pour ceux qui te tenaient à cœur.

Iskander proposait des solutions, tu abaissais les yeux. Si des attaques terroristes aussi graves que celle qui a frappé le Festival Agricole revenaient, tu doutais de la longévité de la région.

« Mon souhait, c’est de mêler le moins de population possible à ces dites hostilités. L’Organisation doit protéger les citoyens… Mais ce groupuscule a déjà agi une fois, et ce n’est pas l’Organisation qui y a passé. Toute intervention nécessite des précautions pour la protection des civils, et je me range solidement sur cet argument. Je n’aime pas punir une communauté entière pour les mauvais agissements d’un groupuscule en colère, mais… »

Tu t’appuyais pour faire face à face avec Iskander, à ton tour. Et tu levais les yeux sur lui.

« Nous avons réunis les Co-Dirigeants pour parler de potentiels suspects. Nous croyons interdire les rassemblements groupés de plus de 100 personnes, et instaurer un couvre-feu, d’ici la fin de la crise. Je doute que la population s’en enchantera, mais je ne peux pas risquer une perte de plus de 900 vies à nouveau. »

Au diable les médias qui déformaient l’histoire; Elijah et toi y étiez, au Festival Agricole, à risquer votre vie pour comprendre la crise. Mais ça, personne ne le voyait encore.
Peu importe. Tu devais agir, et puis…

Iskander relevait un point. Ce n’était plus un observateur; il s’agissait de cet ami qui était là pour toi.
Ton ami qui craignait pour ta sécurité.
Savait-il ?

Ton visage s’assombrit et tu abaissais les yeux. Iskander avait tout vu; ta fatigue, les changements dans ton comportement. Tes manies qui avaient changé. Tes difficultés à prendre des décisions.
Tu agissais sous la crainte et l’appréhension. Et il savait, tout aussi bien que toi.

« Oh, Iskander… »

Tu t’efforçais à sourire, alors que tu relevais le visage vers lui, d’une expression qui se voulait rassurante.

« Je crois que j’arriverai à penser à tout. Ne te rends pas malade pour moi… Pour ce qui me concerne, tout est sous contrôle. »

Pas vraiment.
Mais ça, c’était un souci pour plus tard.