Si un regard pouvait tuer, il serait mort.
Pas seulement lui. Plusieurs autres également, d'ailleurs. Mais ce matin, c'était spécifiquement Elijah qui s'attirait mes envies meurtrières. Je ne suis pas un Voltoutou; je n'aime pas spécialement faire de la voiture, encore moins à 5h du matin. Je ne suis pas très matinal, si on peut dire ainsi.
Je suppose que vous aviez compris cette partie.

Si on me racontait que les paysages de Lanula coupaient le souffle, je n'en aurais qu'ouïe; j'ai essayé de suivre la route, mais malgré le thé vert glacé à la limonade de mon café favori, je n'ai pas réussi à tenir le coup. À l'ombre d'une éphémère conversation qui s'achevait, c'était le regard perdu dans la neige étouffante des montagnes que je m'étais endormi contre la fenêtre givrée.

Il faut dire que ça se voyage beaucoup plus rapidement dans les bras de Morphée.
Et ainsi, j'ai pu compléter ma nuit avant même que nous n'atteignons notre destination.

La veille avait été étrange. Un Elijah au comportement suspect, qui s'était endormi tôt après avoir cédé aux vapes de son breuvage alcoolisé. Ce serait hypocrite de lui reprocher ses mécanismes de défense; les miens ne sont pas mieux. Cependant, je commençais à me douter de la profondeur de l'iceberg.

Qu'avait-il de si grave entre les oreilles pour chercher autant à oublier ?

Je ne vois pour lui aucune autre raison de s'infliger l'infâme torture de boire que l'oubli.

J'aimerais l'aider. Arceus sait que je ferais n'importe quoi pour cet homme, je tuerais, même. Mais je crois que ce combat, Elijah le mène dans un silence que je ne peux saisir.
Si je pouvais, je lui arracherais cette souffrance.
À quoi donc, à quel prix ? Je l'ignore encore.

Sa voix retentit dans une inhabituelle douceur qu'il me tirait de mon sommeil; avait-il appris de sa précédente erreur ? Nous étions enfin arrivés en Lanula, à sa résidence secondaire plus précisément. Je devais avouer, il s'agissait de la première fois de ma vie que je voyais autant de neige. À Johto, il y en a, mais très peu; l'hiver, il pleut et il fait froid.

J'avais une mission très claire comprise à moitié; aller à l'intérieur et libérer notre ribambelle de Pokémon. Amener les bagages, du moins, ce qui était plus léger. Il s'occuperait du reste.
D'ailleurs, je fus coupé dans mon élan par un Rondoudou heureux et curieux. Il semblait se débattre pour que je le dépose au sol, chose qui me faisait douter. Mais pour une fois, je l'ai laissé faire. Et c'était la première fois que Tomo et Peewee jouaient ensemble; gambadant dans la neige folle, je pouvais voir ma boule de gomme de compagnie renaître. Et ainsi, je décidais de le laisser faire. Ici, nos Pokémon pouvaient être libres.

Accompagné d'Hanayo et Chika, qui n'étaient pas particulièrement friandes de la température hivernale, je m'avançais dans ce chalet luxueux. Cette demeure valait sans doute plus d'argent que je n'en avais jamais fait. Et pourtant, son odeur de meubles encore neufs mêlée à la poussière laissait croire que le bâtiment était inhabité. Elijah n'était donc jamais venu en ces lieux ? Il était vrai que son horaire était chargé.

Je m'avançais vers une fenêtre qui surplombait le salon, quel paysage inspirant. Je pouvais voir les petits jouer dehors, jusqu'à ce que cet homme n'interrompt mon moment de solitude.
Mon homme.

« J'espère qu'ils s'en sortiront sans moi, au refuge... »

Je ne suis pas indispensable, qui me faisait croire ça ?
Mais j'avais l'impression que les choses changeaient pour moi, en bien.

Je venais prendre un des sacs qui contenait nos provisions des mains d'Elijah pour lui alléger la tâche.

« Merci de m'avoir amené ici. Je ne suis jamais allé en forêt... je suppose que ce sera un séjour inspirant. »

Être dans un aussi bel espace, c’était l’illusion d’une fausse liberté. J’avais l’impression qu’en étant aussi loin de la ville, isolé de tous, je pouvais enfin abaisser ma garde. La vérité, pourtant, était simple; même si je m’isolais de tout, on ne pouvait pas réellement m’isoler de moi-même.

C’est ainsi que les débuts des tragédies les plus épouvantables commencent, non ?
Je l’ignore. Peut-être qu’un jour, la paranoïa dont Novabi m’a nourri obtiendra le meilleur de moi, et à cet instant, je pense qu’il n’y aura pas de miracle pour me sauver.

Un homme de peu de mots et de tant d’action; son langage amoureux est si différent du mien, et pourtant, j’arrive à le comprendre parfaitement. Son silence ne m’était pas particulièrement étranger, mais assez pour me prouver que quelque chose n’allait pas.

Il ne me le dira pas.

Je ne suis pas indispensable.
Alors, pourquoi est-ce que je m’inquiétais pour Alicia, Shawn, et tous ces gens qui m’attendaient au refuge ? Avais-je un semblant d’appartenance à un endroit où j’avais l’impression de faire une différence ? Était-ce une délusion ?
(Il m’arrive d’être délulu, par moments…)

C’était Elijah qui m’avait tendu une étreinte qui se voulait chaleureuse et rassurante; avait-il peur que je m’en fasse trop ? Et pourtant, ses mains avaient pour don de m’apaiser alors que je soupirais doucement. Tout ira bien, je ne devais pas m’en faire pour ça. Des mots vides de sens pour certains, qui auraient une véritable signification pour d’autres.
J’en perds ma plume.

Une conserve qui avait fait peur à Chika alors qu’elle chouinait, en venant se cacher derrière mes jambes, nous ramenait à l’ordre. L’exaspération s’échappait de mes lèvres alors que je venais prendre la petite Flambino effrayée dans mes bras, cette petite bouille qui ne recherchait que mon réconfort. Et si mon commentaire attirait l’attention d’Elijah, il semblait bien heureux.

Les hommes cisgenres, de ce que j’avais remarqué, semblaient faciles à combler. Dans le cas d’Elijah, j’avais assez vite remarqué ses préférences; du whiskey (ou du rhum, dépendant de son humeur), un chalet dans le bois et une moto. Ça avait déjà plus de classe que les femmes, les gros camions et la bière Budweiser… Bref. Il était content et me parlait de façon bénine de sa retraite; à peine trente ans et il était déjà au bout de sa vie ? À quel point se projetait-il dans le futur ? Est-ce que j’en faisais partie ?

Un mot me tiquait aux oreilles, et ce mot, j’ai rapidement compris qu’il venait provoquer cet inquiétant silence chez mon homme.
Burton.

« Qu’est-ce qu’il veut, lui, encore ? »

Je n’aime pas Lestat Burton, et je suppose qu’il ne m’aime pas non plus. Avec ses idéaux politiques bidons et sa façon étrange d’avoir été élu, si en plus il cause du tord à Elijah, je crois que son image ne se dorera pas de mes yeux.
Comment un homme aussi ringard peut-il effrayer quelqu’un comme Elijah ? Les questionnements se bousculaient dans mon esprit mais je n’osais pas trop m’en mêler.
Je me sentais assez instable pour me mettre en colère, blâmez le manque de sommeil.
(…et non parce que je suis jaloux.)

« C’est pas trop de mes affaires et… franchement, peut-être qu’on devrait laisser nos emplois respectifs en ville. T’en dis quoi ? »

…Après tout, je ne suis pas mieux, à m’inquiéter pour le refuge et mes collègues.

Chika me regardait avec de grands yeux fixes. J’en fronçais les sourcils.

« Tu vas bien toi ? Rien de cassé ? »

La petite lapine me faisait signe que non. Je touchais à l’emplacement de l’impact; une légère bosse, qui ne nécessiterait même pas de glace. Ça devrait partir assez rapidement, en temps normal. Je déposais la petite Flambino au sol, alors qu’elle allait rejoindre les autres Pokémon.