Ils m’ont donné une clé.

On décrit Novabi comme était un aller simple pour le Paradis. Mais si je voulais mourir si jeune, je l’aurais sans doute fait plus poétiquement. Cependant, je me suis déjà tiré une balle en exprimant ma haine pour le genre humain.
La haine.
Un sentiment si familier.
La haine.
La haine qui vous aveugle et qui tend le bout de vos doigts, avec ce vif désir de détruire, frapper, déchiqueter. Je ne pourrais jamais expliquer pourquoi; je suis perdu dans le coton qu’est devenu mon cerveau suite à ces années de thérapie.
Ils ont tout pris, de ma fierté à mon corps, me laissant derrière avec une confiance endommagée. Ces enfoirés ont essayé très, trèèèès fort de réparer leurs erreurs, cependant cher lecteur, je vous rappelle qu’ils m’ont donné une clé.

(Ils ont laissé plus que des cicatrices sur mon corps.)

Ils m’ont donné une clé dont j’ai verrouillé chaque verrou.
Plus personne ne me fera du mal.
Plus personne ne prendra ce qui m’appartient.
(Plus jamais.)

Je m’étirais pour atteindre l’étagère du haut, sur la pointe de mes pieds, en essayant de prendre ces épices qui rendent ma cuisine unique. J’ai cherché partout sur les réseaux du net Novabien pour trouver cette boutique d’imports de Johto; sans offense, ces gens ne savent pas ce qu’est la cuisine authentique. Ces restaurants sont ennuyeux, comme tous les gens que j’ai rencontrés ici. Ennuyeux, vide, sans vie.
Peut-être étais-je trop à vif ? Trop violent ? Trop réactif ? Seul Arcéus saurait dire : Je n’arrive moi-même pas à me comprendre. Depuis… vous savez.
L’incident.

Une pensée intrusive effleurait mon esprit alors que mes yeux se posaient sur cette bouteille de savon à vaisselle devant moi. Souriant légèrement, je ne pouvais qu’imaginer à quel point ce repas était dégueulasse.
Et pourtant, cette conne l’a tout de même mangé, croyant que c’était de la vraie cuisine authentique.
Pauvre imbécile.
On s’étonne de ton empoisonnement alimentaire.

Dommage. Le nouveau gars n’aurait pas la chance de goûter ma fameuse recette au savon à vaisselle; honnêtement, le fait qu’il soit un homme calme mes envies meurtrières. Au fond, je suis sûrement plus effrayé que je ne me l’admets. Ils m’ont dit que je serais suivi par un homme, et pendant que j’aime m’imaginer l’intello avec son sarrau blanc, boutonneux à l’âge de 45 ans, je me doute que Burton m’envoie quelqu’un que je peux facilement neutraliser.
Ce serait con.

Je fermais le couvercle des plats que je mettais en face de l’un et l’autre sur la table basse, posant des baguettes au côté droit et un verre vide à la gauche. La pièce du centre était un pichet d’eau, le tout avait l’air d’un typique restaurant asiatique. Ne me prenez pas sur une mauvaise note; la cuisine fait partie de ma culture, et en grandissant, mes parents étaient très strictes de la façon dont étais mise la table. C’en était ridicule. Oh, à quel point mes cousins ont pleuré pour ça…
Pas moi.
Mon père a élevé un guerrier, pas un couard.
Un guerrier problématique, sans émotions. Je ne crois pas qu’il serait très fier de la personne que je suis devenu, mais au moins, je ne suis pas un lâche.

Alors que je mettais la table, j’entendais le verrou extérieur de la porte d’entrée tiquer, signifiant qu’une personne entrerait chez moi. Ce serait extrêmement invasif en cas normal, mais justement, chez moi, c’était ma normalité. Je n’ai pas de verrou intérieur. Je n’ai même pas de poignée de porte interne… En gros : Si ce stupide immeuble prend en feu, je meurs dedans. Je suis certain que Burton, ou peu importe qui est en charge de mon dossier, l’a fait exprès.

Mes yeux vacillèrent vers la silhouette dessinée au pas de la porte. Cet homme était grand, probablement l’homme le plus grand que j’ai rencontré dans ma vie. Un simple sourire tordait mon expression alors que je remontais les yeux vers son visage, me moquant de ce connard qui n’avait aucune gêne à déjà m’humilier.

À quoi s’attendait-il ? Trois cent livres de muscle, plus grand que lui ? C’est une réaction typique. Les gens me sous-estiment.
Disant que je suis trop petit.

« Bienvenue chez moi. Je vous en prie, retirez vos chaussures avant d’entrer… » demandais-je, contrôlant mon ton pour rester doux.

La confusion se dessinait sur sa peau claire alors que ses mirettes océaniques se dirigeaient vers les chaussures qu’il retirait. Il serait difficile de dire non à une personne aussi polie; ne me méprenez pas, c’est également une tradition stricte de ma culture.
De la formalité.

Il a prononcé mon nom, ce qui me faisait rire alors que je faisais un bref signe de la main.

« Simplement ‘Shinguji’ le fera. »

Après tout, nous ne sommes pas assez proches pour qu’il utilise mon prénom.

D’un geste bref de la main, je désignais le siège devant moi.
Mon appartement gardait ces traits traditionnels que j’aimais tant. Qui me donnaient moins le mal du pays.

« Assoyez-vous, je vous en prie. J’espère que vous aimerez ce repas. Êtes-vous familier avec la cuisine de Johto ? »

Je souriais doucement.
Je le regardais avec respect.
Même si ce stupide homme aux poils de carotte m’énervait.
Je crois que l’Organisation tente de me piéger.