Avez-vous déjà eu l’impression d’être non pas acteur mais spectateur de votre propre vie ? Cet étrange sentiment, je n’ai cessé de le ressentir une grande partie de ma vie lorsque je vivais encore sur cette île au climat morose. J’avais été assez naïf pour croire que j’étais débarrassé pour de bon de ces émotions néfastes à mon arrivée et mon installation sur l’archipel, dans cette nouvelle vie.

Et pourtant j’étais là, à cette réunion de crise, où la tension était à son comble, et pour cause, comment un tel drame avait-il pu se produire ? Qu’est-ce que faisait un tel pokémon à un endroit pareil ?

J’étais entré dans la salle, saluant brièvement les quelques personnes présentes. C’était une autre ambiance que les debrief du matin dans la police, ça avait plus l’air d’être… Une réunion d’entreprise ? Il y avait même un buffet avec du café et des biscuits… J’étais franchement trop mal à l’aise pour aller me servir. Par contre je n’avais pu renier l’appel du café, surtout dans cette ambiance anxiogène j’en avais bien besoin.

J’entendis alors grogner à côté de moi, ce n’était pas Watson qui était plutôt sage, mais mon chef M. Lawrence, de très bonne humeur il semblerait.

« Il y en a juste là si vous voulez. »

Dis-je juste avant de prendre une gorgée de mon café et en pointant les thermos posés sur le buffet, il n’y avait qu’à se servir.

Peu à peu la salle se remplit assez vite. Et Lawrence ne tarda pas à avoir son dû sans bouger le petit doigt. Il n’y avait plus qu’à attendre que la hiérarchie ouvre le bal.

La bave du cradopaud n'attend pas le blanc plumage du Lackmecygne, Adríel.

Cette pensée tourne en boucle dans ton esprit alors que tu sers à Lawrence ton sourire le plus affable. Toi, bien entraîné ? Pour quoi est-ce qu'il te prend ? Le gentil petit et obéissant ponchiot de Lestat ? Tu dois tourner ta langue sept fois dans ta bouche pour t'empêcher une remarque cinglante.

Garde ton masque de petit secrétaire parfait.

C'est compliqué - surtout avec un ego comme le tien - mais tu t'y tiens. Tenant parfaitement ton rôle de figurant, tu prends place derrière les sièges des co-dirigeants. Debout, droit, bras croisés dans le dos, tu offres un sourire aimable à tous les nouveaux visages qui se présentent. Espérant que si tu restes poli, aimable et silencieux, on t'oubliera.

Mais… Tu le sais bien Adríel, la figuration ce n'est pas du tout ton truc.

Pourtant, tu es resté relativement dans ton rôle de pot de fleur décoratif tout le temps qu'à duré le défilé des nouveaux venus. Ils sont nombreux les visages qui te sont inconnus et tu te rends soudainement compte que tu ne connais personne au sein de l'Organisation, en dehors de ton supérieur et de ses pairs dirigeants.

Si tu veux donner l'illusion d'être un parfait petit soldat de l'Organisation et ne pas éveiller les soupçons, peut-être faudrait-il que tu t'impliques plus, tu ne crois pas ?

Oui. C'est une sage idée. Et alors que tu prends une bonne résolution, voilà qu'Elijah t'offre la parfaite occasion de t'impliquer.

- Et vous ? Qu'est-ce que vous avez fait pour éviter ce désastre, Monsieur Lawrence ? Non Adríel. Ce n'est pas comme ça qu'on se fait discret et encore moins des copains Spectare…

Mais c'est plus fort que toi. Tu ne peux rester de marbre face aux reproches injustifiés du Galarien.

- Je ne remets nullement votre implication dans les évènements du festival en cause. Sans vous, Mr Burton et tous ceux qui ont décidé d'y mettre du sien, cette catastrophe aurait certainement encore été plus tragique. Exit ton intention de rester discret. Tu sors de ton coin alors que tu prends la parole. Elijah a piqué ton orgueil à vif. Si tu sais reconnaître tes erreurs, tu n'apprécies guère être blâmé pour les bavures des autres. Nous n'étions pas là pour la plupart, certes. Il serait peut-être judicieux de se demander "pourquoi ?" avant de nous jeter la pierre. Même si on l'avait voulu, on n'aurait pas réussi à investir Port-Wisteria tellement le chaos régnait autour du quartier. Tes yeux se plantent dans le regard de Elijah alors que tu lui fais face. Adieu le petit secrétaire obéissant. Il n'y a pas de clown de service non plus. C'est l'homme sérieux qui cette fois fait face. Un homme qui a pleinement conscience des risques qu'il est en train de prendre. Quand une erreur stratégique se produit ce n'est pas sur soldats qu’il faut jeter le blâme mais sur généraux qui les chapeautent. Ton regard glisse une milliseconde vers Lestat, lui soufflant des excuses silencieuses. Ce n'est évidemment pas lui qui est visé par tes mots mais il en sera malheureusement une victime collatérale. Temps pis. Tu lui offriras de vraies excuses par après. Alors… Par les Gardiens toute l'ironie dont tu es capable ressort dans l'invocation de tes propres déités. Qu'avez-vous fait, vous, Officier Lawrence, garant de la sécurité de Novabi, pour éviter ce désastre ? N'est-ce pas votre devoir de prévoir de telles catastrophes et de mettre au point des plans pour intervenir quand elles arrivent ? Avant de blâmer vos hommes, questionnez  donc  vos propres compétences et votre implication dans ce drame. Parce que vous êtes tout aussi fautif que nous, si ce n'est pas plus.

Tu es droit, ton regard ancré dans les yeux du policier ne laisse rien paraître si ce n'est sérieux et détermination, même si l'appréhension d'un coup qui va probablement venir te secoue  de l'intérieur. Tu n'as jamais été un grand bagarreur mais tu a toujours été prêt à te jeter dans la gueule du Lougaroc quand cela était nécessaire. Et aujourd'hui cela te paraît nécessaire.

Et dire que tu voulais faire profil bas à cette réunion…