Dehors n’était que tempête, alors que pourtant, mon cœur s’échauffait doucement. Et pour la première fois depuis si longtemps, les choses semblaient enfin faire du sens.
Pour la première fois depuis que j’étais adolescent, j’avais enfin l’impression de ne pas avoir survécu pour rien. L’univers se dessinait devant moi; les lignes floues étaient finalement éclaircies et je comprenais mieux.
Au final, les autres ne sont pas si mal que ça. Non ?

Elijah n’est pas si mal que ça.
Il est stupide et agit souvent comme un croisement entre un adolescent dans un vestiaire avant un cours de sport et un primate. Mais honnêtement ? Quand il fait fonctionner son cerveau, je me trouve à être en face d’une personne qui me comprend mieux que n’importe qui.
Je ne cacherai pas que d’être compris, c’est toujours largement plus agréable que d’être coincé à réfléchir seul, ressentir seul et tenter de tout démêler seul.

Avoir su ce que je sais aujourd’hui, peut-être que j’aurais fait les choses différemment. Mais je crois que si j’avais fait les choses différemment…

Je ne l’aurais jamais rencontré.

En équilibre sur un des tabourets qui était adjacent à l’ilot, j’en avais profité pour  fouiner dans les boîtes qu’Elijah avait rangées dans le placard de l’entrée, juste au-dessus. Apparemment, il a déjà eu l’esprit festif, puisque j’ai trouvé un tout petit sapin et des petites décorations de Noël. À Johto, on ne le célèbre pas comme à Novabi, mais j’avais envie de prendre un peu de temps pour Elijah.
Alors, avec ce mini faux sapin, j’étais perché sur un tabouret pour installer ce mini sapin en hauteur. Car si je ne le faisais pas, je retrouverais sans doute Maru, mon Mime Jr., dans l’arbre. En train de casser les mini boules et s’envelopper des lumières, qui sait.

D’ailleurs, il me regardait trop attentivement. J’avais l’impression, au-travers de son regard, qu’il n’attendait qu’une seule chose, impatiemment ; que je tombe de mon perchoir. Oh, je pouvais apercevoir la malice traverser son esprit. Et je fronçais les sourcils en lui rendant son regard.

« Qu’est-ce que tu regardes comme ça ? T’espère quelque chose ? »

À la minute même de mon intervention, Maru détournait la tête et retournait vaquer à ses occupations, que je n’arrivais pas vraiment à comprendre. Et moi, en attendant, je terminais d’installer les lumières dans le mini sapin, léger sourire venant tordre mes lèvres.
C’était parfait, vraiment.

Elijah aimerait peut-être. Certes, j’ai déjà vu beaucoup plus décoré, mais un petit arbre, ça aidait tout de même à célébrer, non ?

J’observais l’intégralité du salon. Depuis les grandes fenêtres de la baie vitrée, je remarquais qu’il était tôt et le soleil se couchait déjà comme s’il était tard le soir. Comment avais-je pu louper tout ce temps depuis août dernier ?
Comme si ma vie avait défilé comme un flash.
J’étais dans un appartement qui ressemblait à une prison, et aujourd’hui, j’ai un endroit qui me fait sentir chez moi.

Pourtant, lorsqu’il n’est pas là, tout est étrangement froid et grand…

La lueur des lumières du sapin amenait un petit quelque chose de chaleureux. J’espérais franchement que ça fasse plaisir à mon grand roux.
Mais au moment où cette pensée traversait mon esprit, j’entendais la porte d’entrée qui venait s’ouvrir. Je n’avais pas l’habitude de me jeter sur lui comme un Ponchiot heureux, cependant…

« Elijah ? »

Je m’approchais du cadre de porte de l’escalier qui faisait face, pour remarquer que celui que j’osais appeler mon partenaire restait debout immobile.
La fatigue ?
S’était-il passé quelque chose ?

« Tout…va bien ? »

Un étrange pressentiment ?
Des songes intrusifs ? J’ignorais.
Mais j’avais cette impression qu’il tirait une moue grave.

cw; flashback d'épisode traumatique (agression)

Les doigts tachés d’encre, je remplissais les pages de ces songes sombres alors que les souvenirs alourdissaient ma conscience et que les larmes ravivaient ces sentiments engourdis.
Couper mes cheveux qui étaient pourtant si beaux.
Ensevelir ce corps qui ne m’appartenait pas dans des habits un peu trop grands.
Ce n’était pas nouveau; une vieille habitude qui se voulait rassurante. Quelque chose que je faisais sans en avoir conscience.
Je percevais le regard de mes familiers comme étant jugeur, déçu. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée que mes parents mouraient d’inquiétude à chacune de mes folies et mes actes impulsifs.

J’avais beau me laver ; le sentiment de saleté ne quittait pas le derme de ma peau et ce corps, je me mettais à tellement le négliger que j’en prenais soin.
Dans l’espoir qu’un jour, j’aurai un corps qu’ils n’auraient jamais touché.
Un corps tellement repoussant que personne n’en voudrait.

Je n’ai pas choisi la voie la plus facile. Mais j’ai vécu dans l’honnêteté, même si ça avait déçu ceux que j’estimais le plus. La vie de mes parents, je l’ai fait basculer.
Et même si je porte ce nom, je ne suis pas Shinguji.
Les Shinguji ne m’aiment pas.

…comment ai-je pu traverser tout ça ?
Elijah a un comportement tellement étrange et faux ce soir. Il ne me faut pas trop réfléchir : je connais l’homme avec qui je vis. J’observe… beaucoup. Et j’écris parfois sur lui.
Depuis, mes récits sont beaucoup plus légers, presqu’à l’eau de rose. J’aimerais parfois les lui lire, mais je crains que la beauté de leur poésie se perde dans une traduction impossible. Si seulement je pouvais lui dire ce qu’il représente pour moi…

Une étreinte chaleureuse qui dégage une énergie faussement polie, dans une tentative de couvrir un malêtre imminent. Je sais que tu ne vas pas bien Elijah, tu n’es pas bon menteur avec moi.

« Tu n’es pas si vieux que ça. Tu es à peine ridé… »

Je tends doucement les bras pour venir atteindre son visage, ses joues pâles, pommelées de taches de rousseurs. Ses yeux, à Elijah, ils expriment tout et rien à la fois. Des yeux qui reflètent la mélancolie, ou plutôt dans lesquels brille la tristesse. J’ignore pourquoi tu es aussi triste, Elijah. Tu refuses de me le dire.

« Sous les yeux, un peu. Tu dors assez ? »

J’ai envie de prendre soin de toi, un privilège que je n’accorde à personne, même pas à moi-même. Te retirer ce tourment qui rend ton regard si maussade. Je m’excuse si je n’en fais pas assez, je peux toujours essayer de me rattraper.

Ai-je passé une belle journée ? Une question qui se perd dans un baiser que tu utilises pour masquer ton malêtre. Je ne suis pas dupe.

« Longue et courte à la fois… Je me suis réveillé pour aller au Refuge ce matin et il faisait encore noir. J’ai terminé mon quart de travail et le soleil se couchait… à 15h. Je te mentirais si je te disais que ça n’amplifie pas mon mal du pays… Le soleil et la chaleur me manquent. »

Un court soupir pour chasser mon inconfort, qu’une pensée venait traverser mon esprit.

« …oh ! Je pense que c’est le moment pour les introductions. Un instant, un instant… »

Laissé à lui-même le court instant que je puisse disparaître à la chambre, Elijah m’attend dans le salon. Et puis, je reviens avec les mains comblées d’un  nouveau partenaire, que je brandis avec un sourire.

« Je te présente Chika. Elle est arrivée au Refuge aujourd’hui… Et, je ne sais pas. »

Ce sont les couleurs, je pense.

« Ça a cliqué, et j’ai rempli les papiers d’adoption. J’espère que ça ne te gêne pas… Elle semble bien s’entendre avec Bonnie ! »

Le Festival Agricole. Cela fait déjà plusieurs mois qu'il est passé et il te hante encore.
Est-ce que c'est égoïste de dire que cet événement c'est ce qui nous a rapprochés, toi et moi ? De ne pas trop en vouloir à la vie. Malgré ta brûlure, je m'entête à vouloir recoudre ton coeur et guérir tes maux.

Qu'en dire. Tu es heureux que je fasse du bénévolat; ça ne rapporte rien sauf le fruit de me réintégrer proprement en société et d'apprivoiser de nouveaux liens avec les Pokémon. Au final, chaque jour est une petite victoire et tu es fier de moi. J'aimerais ressentir cette fierté pour moi-même, un jour, je suppose.

Je te présente Chika et comme d'habitude, tu sembles heureux que j'intègre une nouvelle créature à mon équipe, bien que ta première réaction me prit de court. Elle méritait même que je peste en croisant les bras.

« N'importe quoi. Le rose, c'est pour les gamines. »

Savait-il ?
Pourquoi saurait-il.
Je n'ai jamais dit à qui que ce soit que le rose était réellement ma couleur préférée. J'ai tendance à dire noir ou rouge pour effrayer les gens, mais au final, je crois que mon esprit est aussi fragile que romantique, comme cette couleur. Que dirais-tu, toi, Elijah ? Si tu savais mon secret. Que penses-tu de cette couleur ?
J'ignore parfois ce que tu as au fond de ta tête, et ça me rend fou.

Au moment où j'ai mentionné la bête, la jeune Lockpin de mon prétendant avait montré sa petite truffe rose pour venir reprendre sa nouvelle amie lapine dans ses bras comme un câlin, auquel Chika réagissait positivement.

Pendant ce temps, tu t'étais éloigné de moi. Une routine qui se voulait troublante et réconfortante, alors que tu bois encore pour oublier. J'espère que tu seras assez lucide pour ne pas m'oublier. Je ne sais pas comment tu es lorsque tu n'es pas occupé par le travail, après tout.
Tu te servais un verre de Scotch ; l'habituel, je pouvais reconnaître la pointe de cannelle harmonisée à l'alcool fort.

Tu me faisais une proposition; partir et tout laisser derrière. Tu parlais de nos Pokémon comme s'il s'agit de nos enfants, ce qui m'arrache l'ombre d'un bref sourire. Ce n'est même pas une question et je n'ai pas besoin d'hésiter; tu sais, Elijah, que je meurs d'envie d'être avec toi.
Je ferai n'importe quoi, tant je serai à tes côtés.

« C'est ce qui te tracasse autant, ce soir ? »

J'en ricanai même, inconsciemment, comme un vulgaire insolent.

« Si tu m'en fais l'honneur, alors. Ça m'importe peu, j'irai où tu iras. »

Je n'allais tout de même pas lui laisser savoir, non ?
Mon amour obsessif, cette flamme pour lui que nous ne cessions pas d'alimenter violemment et mutuellement. J'ignore jadis si mes sentiments pour lui étaient tout aussi réciproques.

Je me glisse doucement contre le comptoir en marbre pour m'approcher de sa silhouette, telle une ombre. Et si je me glissais contre lui, l'intention était de lui voler ce verre à moitié rempli, que je venais porter à mes lèvres, un regard plongé en ses mirettes océaniques.

« Si tu veux partir ce soir, aussi bien avoir toute ta tête. »

J'en pris une gorgée, retenant de plisser mon nez ou de me crisper.
Quelle boisson infecte.